N O T E S   D E   V O Y A G E S

Burkina Faso, mars 2010 — 7

... par
Gilbert Cujean

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Encore un moulin à mil?

Bobo Dioulasso, mercredi 24 et jeudi 25 mars 2010

Je parlais de ce futur moulin à la fin de mon dernier article de janvier 2009 (Post-scriptum avec une vidéo d'un moulin traditionnel):

Et puis, j'ai fait un passage à Lèba. C'est un village de brousse, entre Gourcy et Ouahigouya, à 3 km du «goudron». Chef-lieu de commune rurale (4 à 5'000 habitants?), Lèba occupe une grande surface, avec des distances confortables entre les différentes concessions. Ces «rues» sont plantées de dizaines de nims (?) qui apportent un ombrage très agréable... et inhabituel! Cette agglomération compte 2 écoles primaires et un collège secondaire, un dispensaire, une maternité, une préfecture et une mairie, mais ni eau courante ni électricité ni téléphone fixe!

Mon ami Sayouba qui est adjoint au maire bien que résident à Ouahigouya (20 km), fait aussi partie de la famille «royale», c'est-à-dire de la famille du chef coutumier. Il m'a fait visiter son village et rencontrer le CVD (Comité villageois de développement). Lèba ne compte qu'un moulin à mil pour plusieurs centaines de familles. Il fut donc question d'un projet pour une seconde installation... Nous en reparlerons certainement dans quelque temps!

Alors, dès mon arrivée à Ouahigouya il y a 15 jours, j'ai repris l'étude de ce projet. En été 2009, Sayouba m'avait fait parvenir un devis pour un moulin, mais sans plus de détails. Cette fois —échaudé par l'expérience de Mouni!— je me suis penché attentivement sur le côté technique et social du projet. J'ai rencontré deux fournisseurs potentiels pour le matériel, j'ai demandé et confronté leurs avis sur le type du moulin (meule en acier ou meule en pierre), sur la puissance du moteur (8 CV ou 10 CV), sur le bâtiment devant recevoir l'installation (dimensions, équipement) et la disposition des éléments à l'intérieur.

Sur le plan social, deux points soulevaient quelques questions que j'ai dans un premier temps discutées avec Sayouba:

  • Le besoin pour un nouveau moulin est-il bien réel? J'ai en effet appris que l'année dernière, après ma première visite à Lèba, un second moulin a été installé, non loin du premier. Un troisième moulin se justifie-t-il encore? Le village est grand, mais attention à la pléthore qui signifierait aussi mauvais rendement, voire faillite de l'opération! Il faudra sérieusement poser la question au Comité Villageois de Développement (CVD) et leur demander des précisions.

  • Au cas où le projet se ferait, à qui confier la responsabilité de l'ouvrage? Il est de plus en plus conseillé dans ce genre de projet d'individualiser les responsabilités plutôt que de les confier à une association villageoise où chacun risque de rejeter la responsabilité sur un autre. Mais le risque est aussi de créer des jalousies et des inégalités, voire des injustices. Peut-on imaginer une autre solution? J'ai proposé une méthode intermédiaire, inspirée de ce qu'a fait SuissePartage au Sénégal: le moulin est confié à l'association villageoise qui doit prouver qu'elle sait et peut bien gérer le projet. Dans le cas contraire et si la rentabilité —donc l'autonomie— n'est pas assurée, on peut reprendre le moulin et l'installer dans un autre village. Ce n'est bien entendu pas le but, mais cette «épée de Damoclès» devrait motiver l'association à nommer un bon meunier et à suivre son travail. On proposera ça au CVD.

Et puis, mercredi 17 mars, je me suis rendu à Lèba avec Sayouba. On a d'abord visité la mairie, toute neuve, puis il y a eu réunion avec le CVD. Les points décrits ci-dessus ont été débattus. Les avis étaient pertinents, les gens semblaient motivés et convaincus. Le besoin d'un 3e moulin a été confirmé, surtout par les femmes: «Le premier moulin est mal adapté [Ndlr: Il s'agit d'un moteur multi-fonctionnel qui alimente soit une meule, soit une génératrice pour un poste à souder, etc.], et le second est toujours en panne!» À tel point que certaines femmes vont moudre dans un village voisin, à 2 km (!) où il y a «le meilleurs moulin de la région» (dixit la responsable des femmes du CVD).

— La concurrence ne va-t-elle pas inciter les autres moulins à «casser les prix» pour garder ou gagner des clientes?
— Non, le litre de gasoil coûte trop cher pour casser les prix! Si le moulin fonctionne bien et régulièrement, et si le meunier est gentil avec les femmes, elles viendront.

Soit. On ira de l'avant. Parlons du bâtiment, maintenant:

— Le CVD est-il prêt à construire le local du futur moulin à ses propres frais, ce qui représentera son apport au projet? Il s'agit d'une maison de «16 tôles» (environ 3m50 par 6m30 extérieur), en «banco» (terre) avec crépi extérieur au ciment.
— Oui, ce n'est pas un problème! Il y a des forces de travail (fabrication des briques, maçonnerie, etc.) et les moyens pour les autres fournitures (tôles, ciment, porte, fenêtre, etc.).

À la question du lieu de l'implantation, les avis divergent: certains sont pour la «place du marché» où se situent déjà les 2 autres moulins (affluence, possibilité d'autres «courses» au même endroit), d'autres sont pour une implantation dans un autre quartier, décentralisé (moins d'effet de «concurrence déloyale», plus d'effet «proximité»). Je suis personnellement de ce dernier avis, mais la décision sera du ressort du CVD en collaboration avec la Mairie. À suivre...

Restait l'installation «conditionnelle» et la reprise éventuelle des machines en cas de mauvaise gestion ou d'insuccès financiers. La chose a fait sourire, mais ma préoccupation a bien été comprise et le CVD fera tout pour que le moulin reste à Lèba. À ma demande, un Comité de gestion sera constitué, avec 5 membres dont au moins 3 femmes et au sein duquel il y aura également au moins 2 personnes qui parlent le français!

 

Petite galerie de portraits

Sayouba

 

Le vice-président du CVD

 

Le secrétaire-trésorier du CVD

 

La responsable des femmes du CVD

 

Le vieux conseiller

 

Après la séance, nous nous sommes rendu dans le village voisin: Rassogoma. C'est là que les femmes viennent moudre si les moulins de Lèba ne fonctionnent pas et elles apprécient les qualités du meunier et des machines. Nous pouvons parler avec ledit meunier qui dit qu'en 10 ans de service ce moulin n'avait eu que quelques pannes et encore pas dans les 8 premières années! Preuve à mon avis qu'un bon meunier «fait» un bon moulin! Remarque: moteur et moulin sont de la marque que nous allons choisir.

De retour à Lèba, nous buvons une bière au maquis de la place du marché. Une bière fraîche, dans ce village sans électricité? — Merci au bouteilles de gaz et au frigos qui marchent avec cette énergie! Le vice-président du CVD profite de notre présence pour m'apporter un poulet et Sayouba est assez populaire pour que l'on doive refuser la 4e tournée offerte par ses amis! [Rappel: Il s'agit de bières de 65 cl!]

On était précisément en train de siroter nos bières quand Sayouba me dit, parlant d'un type qui venait d'entrer dans le maquis: «Aie, voilà l'angoisseur!». Il m'explique alors qu'il s'agit d'un individu qu'on essaye d'éviter, tant il est peu intéressant (et c'est un euphémisme!). Il raconte n'importe quoi sur n'importe qui, colporte de fausses nouvelles, et... tape ses interlocuteurs de cent balles à chaque fois avant de passer à la table voisine. En somme —curieux rapprochement culturel—, c'est exactement ce qu'on veut dire, dans les bistrots de chez nous, quand on dit de quelqu'un: «Ç'ui-là, c'est une angoisse!».

De retour à Ouahigouya, on a convenu que j'essayais de développer le projet et de trouver un financement. Je suis retourné chez notre fournisseur de moulin préféré... mais un peu trop cher. Il a été d'accord de baisser un peu son prix et c'est lui qui fournira et installera le matériel si le projet aboutit.

À mon retour en Suisse, en avril, je préparerai un schéma pour le bâtiment, la description du projet et des propositions de convention et de statuts pour le futur Comité de gestion. La suite des discussions se passeront par e-mail avec Sayouba avant les décisions finales...

 

* * *

Je rentre de Bobo à Ouaga demain 26 mars. D'autres articles suivront.

À suivre...

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