Écrit à Bobo Dioulasso, mercredi
18 avril 2012 — Publié depuis Bobo Dioulasso, le 19 avril 2012
Brèves de Ouahigouya
Dimanche 8 avril, jour de Pâques, je suis «monté» de Ouagadougou à Ouahigouya
(OHG), environ 180 km au nord. On est déjà dans la zone sahélienne déconseillée
par les gouvernements suisse et européens, mais OHG n'est pas à la frontière du Mali —il
reste environ 60 km— et on est à plus de 200 km des régions revendiquées par les
Touareg (MNLA) et les islamistes de Ansar Dine ou autres bandits du désert... De plus, le Burkina Faso
ne tolérerait pas l'intrusion d'hommes en armes sur son territoire, comme le Mali de Amadou Toumani Touré
(ATT) l'a malheureusement fait. Depuis le début du conflit et du coup d'état au Mali, plusieurs
dizaines de milliers de civils maliens se sont réfugiés au Burkina et j'ai entendu parler d'un
camp de 25'000 personnes près de Ouagadougou.
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Pour revenir à mon déplacement, j'ai voyagé avec Titi Josias, un jeune Burkinabè
fraîchement diplômé en énergies nouvelles, que j'ai convié à
étudier un système de pompage solaire pour l'Académie Syldep (nous y reviendrons).
Surprise de Pâques: le car de 11h pour lequel j'avais réservé des places a été
subitement décalé à 13h, jour de fête oblige...
Le car était climatisé, mais ici on est heureux si la température est stabilisée
à 35°C!
Note: À gauche du tableau de bord, sur l'autocollant «Allah
is one!», le doigt levé est bien un index et non un majeur!
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À peine arrivés, accueillis par mes amis Sylvie, Lasso et Sayouba, et alors que nous étions
attablés pour une bière de retrouvailles, la météo change subitement: en moins de
temps qu'il en faut pour l'écrire, nous voilà pris dans une tempête qui soulève avec
violence poussière et objets divers. Pendant 5 minutes, on ne voit plus à 10 mètres, on
protège les verres comme on peut, les yeux piquent, les dents crissent... avant qu'une (petite) pluie
essaye brièvement de coller la poussière. C'est une «pluie des mangues» qui a lieu
quelques fois durant la saison sèche (d'octobre à mai). On a pu se mettre à l'abri d'une
tôle, nos habits sont joliment teinté de rouge et on a sauvé les bières. Tout va
bien!
Le lendemain, visite à l'Académie Syldep. Petit rappel: cet établissement scolaire, créé
par nos amis Sylvie et Abdoulaye, a démarré avec l'année scolaire 2009-2010. J'en
ai déjà parlé dans ces Notes de voyages et je pense que j'en reparlerai encore,
tant ce projet est sérieux et représente une belle contribution au développement de la
région.
Depuis l'année dernière, le site du lycée a été clôturé et
un magnifique portail marque l'entrée principale.
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Un nouveau bâtiment devrait voir le jour pour la rentrée
de septembre prochain: salle informatique et vestiaires pour le terrain de sport. Dans ce contexte, l'idée
est de profiter de cette construction pour monter un château d'eau. Un forage existe sur le site,
mais le pompage est manuel et il n'y a pas d'eau courante dans l'école. Un réservoir à
une certaine hauteur, dont l'eau serait pompée du forage à l'aide d'énergie solaire
serait le bienvenu. Reste à dimensionner, évaluer, puis réaliser ce projet.
C'est là qu'intervient Titi Josias: il doit avoir des compétences à jour vu son
récent diplôme, et il a déjà participé pratiquement à une installation
semblable... c'est donc potentiellement l'homme de la situation. Mon rôle n'aura été
que de mettre Titi Josias en relation avec l'Académie Syldep. Le reste est affaire de Burkinabè! |
Pour terminer cet article, j'aimerais raconter une belle anecdote:
Abdoulaye, le directeur de l'Académie Syldep veut se séparer du gardien qui est sensé
veiller à la sécurité des lieux en dehors des heures de classe et accessoirement de nourrir
quelques moutons, canards, poules ou dindes qui amélioreront un jour l'ordinaire. Mais Lassane ne fait
pas son travail. Abdoulaye l'a surpris plusieurs nuits en flagrant délit d'absence (si l'on peut dire!),
de plus il vend l'eau du forage pour son compte et ne s'occupe pas bien des animaux.
Étrangement, Abdoulaye ne trouve pas facilement un remplaçant. Et pour cause: on apprendra plus
tard que le gardien, sentant bien la disgrâce, discutait avec les candidats qui se présentaient
à l'école, leur disant qu'il n'était pas payé régulièrement, que les
patrons étaient trop durs et méprisants... bref, de quoi refroidir les plus motivés!
Or donc ce lundi de Pâques 9 avril 2012, c'est férié et il n'y a pas cours au lycée.
Le directeur se rend tout de même en fin de journée à l'école pour régler
des problème administratifs. Il y croise Moussa, un élève de «terminale» qui
sort de la mosquée voisine de l'école et se dirige vers sa classe. Abdoulaye l'interpelle et,
sur le mode de la plaisanterie, lui dit que c'est bien d'aller à la mosquée, mais que ça
ne le fera pas passer le bac et qu'il faut aussi travailler... Sur quoi l'élève répond
qu'il travaille, qu'il ne pense pas avoir le niveau pour passer le bac cette année, mais l'année
prochaine certainement. Et il ajoute que Monsieur le Directeur n'a peut-être pas remarqué qu'il
vivait ici! Surpris, Abdoulaye pose des questions et Moussa explique: depuis octobre (donc plus de 6 mois),
il n'a pas de logement, alors il vit à l'école. Il mange dans les petits «restaurants»
informels au bord de la route (grâce au maigre pécule que sa famille du village lui fournit?),
pour dormir il joint 2 tables-bancs et tous les 2 jours il lave ses habits le soir et les remets le matin, uniforme
oblige. Remarque: le gardien n'avait rien remarqué... car le filou «gardait» simultanément
une autre propriété!
Du coup Abdoulaye lui dit «— En somme tu devrais être notre gardien, puisque tu es là
plus souvent que lui! Est-ce que cela t'intéresserait? — Euh oui... — Saurais-tu t'occuper
des animaux? — Oui bien sûr! — Alors je t'engage!». Lassane fut donc prié de
rendre les clés sur le champ et de faire rapidement ses cliques et ses claques...
Et Moussa de se retrouver avec un job, une maisonnette, l'eau et l'électricité gratuites et un
salaire de 25'000 F CFA (CHF 50.-, mais correspondant à environ 1'000.- en Suisse, en rapport avec le
coût de la vie), et qui peut augmenter s'il donne satisfaction.
Et voilà, comme on dit ici: «Yel kayé!» (Il n'y a pas de problème!).
À suivre...
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